Histoire de la châtaigne en Corrèze

De la châtaigne sauvage à la châtaigne cultivée

Le châtaignier peuplait le continent Eurasien bien avant que les premiers hommes n’y mettent les pieds.

C’est en Asie mineure que les châtaigniers sauvages ont progressivement été domestiqués, au même moment que beaucoup d’arbres fruitiers, vers le VIe siècle avant J.-C.

Les Romains ont amené la vigne et le châtaignier jusqu’en Gaule. Le second étant utile pour faire des tuteurs (échalas) à la première, on associait ces cultures lorsque le sol le permettait.

La culture du châtaignier s’est développée petit à petit, jusqu’à avoir, au XVIIIe siècle, un rôle prépondérant dans l’économie Limousine.

Le courant des “physiocrates“, qui étaient aussi peu informés des nombreux soins que nécessite cette culture,  que de son importance en cas de disette, voulaient pendant un temps la remplacer par la pomme de terre, l’orge et le riz. En 1790, Juge de Saint-Martin prit la défense du châtaignier Limousin ainsi :

J’ai souvent ouï dire par des personnes aussi respectables par leurs bonnes intentions que par leurs places importantes, que l’abondance des châtaignes dans le Limousin était une des causes qui rendent le laboureur paresseux et qu’en détruisant presque entièrement l’arbre qui les produit, la Province  aurait une subsistance plus assurée… la châtaigne que la Providence semble y avoir établi pour nous dédommager de l’infertilité du sol est le meilleur produit qu’il soit possible d’en tirer.

L’apogée du châtaignier

Aux XVIIe au XVIIIe siècle, le châtaignier a connu son apogée en Limousin. La Corrèze produisait 500 hectolitres de châtaigne en 1815, deuxième département dernière la Dordogne. Cela représentait 34% de la superficie du département en 1852.

Les fruits étaient consommés quotidiennement par les paysans une bonne partie de l’année. On le nommait l'”arbre à pain”.

Tous les animaux de la ferme en profitaient également, particulièrement les cochons que l’on engraissait avec, et qui étaient une source importante de revenu. Les races rustiques étaient capables de chercher les fruits dans leur bogue, dans les sous-bois en pente.

Son bois était aussi de la plus grande importance. Il était utilisé sur la ferme pour réaliser les treillages, les poteaux, les piquets de clôture, manches d’outils, jougs… Il connaissait également des usages domestiques en tant que bois de chauffage, et bois d’œuvre : charpente, portes, meubles, paniers, jouets, etc. Il était évidemment vendu pour faire des tonneaux, et son charbon était apprécié dans les forges.

Atlas topographique agricole et géologique de la Corrèze, 1873 :

 [Le châtaignier] trône à proximité des demeures paysannes, dans cet espace clos appelé “le coudert” et voué à la divagation des troupeaux. Quel ensemble rural ne possède pas alors son “séchadour”…

 Le déclin

Le déclin de la châtaigneraie, unique dans son ampleur, a été général en France et se poursuit encore aujourd’hui. Pour donner un ordre de grandeur, la récolte de 1993 représente seulement 3% de la récolte de 1890.

Les causes sont multiples. En premier lieu, ce furent les révolutions agricoles et industrielles. Au milieu du XIXe siècle, l’exode rural et la diversification des sources de revenus des paysans a conduit à délaisser d’entretien des châtaigneraies, qui n’étaient plus aussi nécessaires. Elles ont ainsi souvent été remplacées par des prairies et des cultures destinées à l’élevage bovin et porcin.

Découvert en 1878, un procédé industriel permettant de purifier le tannin de châtaignier, a permis de créer des usines d’extraits tannants partout en France. Celle de Cornil, installée entre Tulle et Brive en 1885, a avalé plus de 40 000 arbres par an jusqu’en 1920, y compris des arbres en pleine production.

L’arrivée de la maladie de l’encre en 1871 a contribué également au recul de la châtaigneraie. Ce champignon parasite des racines a décimé de nombreux arbres, particulièrement en Basse et Moyenne-Corrèze.

Ainsi, entre 1890 et 1920, la production a chuté de 70%.

En 1907, Jean Nesmy écrit dans “La douceur limousine” :

L’industrie paie cher le bois de châtaignier… à l’attrait de l’argent, nul paysans ne résiste : il préfère quelques écus dans le bas de laine que quelques beaux arbres vigoureux autour de sa maison ; l’ombre du châtaignier ne peut lutter contre le soleil de la pièce d’or. On déboise ! On déboise à la fureur !… […] L’arbre ne gémit qu’en tombant ; et le bourreau se console en pensant que ses futaies seraient mortes un peu plus tard par maladie, au lieu de périr de sa hache.

Toute cette histoire est admirablement racontée et documentée dans l’ouvrage suivant, dont sont tirés le présent article et les citations :

Les châtaigniers du Limousin, Roger Pouget
Numéro 161 de la revue Lemouzi
Editeur : Société Historique et Régionaliste du Bas-Limousin